Texte fondateur du groupe orchestral Le Paradoxe
Si la Peinture, la Danse et le Théâtre contemporains ont su trouver leur public, la Musique contemporaine reste la mal-aimée. La Musique, depuis l’Antiquité est probablement l’art le plus abstrait. Privée du texte du comédien, privée du geste du danseur, privée du regard du peintre, la musique s’écoute, s’entend. Dans cette expérience multi-sensorielle de l’art, la musique n’utilise que l’ouïe et cela la rend très difficile d’accès. Rester assis dans une salle de concert alors que l’on peut flâner à sa guise dans un musée, devient une contrainte. Pourtant, la musique contemporaine invite l’auditeur à une découverte du Sonore et à des Moments de déambulation à travers l’orchestre, dont Le Groupe Orchestral Le Paradoxe ne se privera pas.
Après 20 ans passés au 21ème siècle, c’est avec perplexité que nous faisons le constat suivant: le public mélomane remplit les salles proposant des programmations qui s’étendent jusqu’à Richard Wagner mais boude les soirées musicales lorsqu’il s’agit de musique contemporaine. Certains admettent que Bach et Mozart les apaisent, d’autres disent qu’ils s’arrêtent à Ravel, d’autres enfin avouent ne rien comprendre à la musique d’aujourd’hui. Pourtant, ceux qui définissent la musique de Bach et Mozart comme une Musique « évidente » sont loin d’imaginer ce qu’elle porte comme techniques savantes, et ceux qui disent s’arrêter à Ravel ne savent pas qu’ils ne sont qu’à un pas du modernisme. Voilà bien un 1er paradoxe. Il devrait être plus facile d’écouter les musiques de notre temps que celles des temps anciens. Et bien non, le fait que nous connaissions les œuvres du passé « déjà entendues » nous rassure. Aujourd’hui l’expérience de la découverte inédite est un saut dans le vide.
Le 2ème paradoxe, c’est que nous nommons encore aujourd’hui la musique contemporaine,
« musique du 20ème siècle ». Que s’est-il passé pour que nous restions figés dans le siècle precedent? Qu’avons-nous manqué ? Il semblerait qu’une jonction ne se soit pas faite car le 20ème siècle a un double visage ; celui de Ravel qui meurt en 1937 et celui de Schonberg dont l’œuvre commence en 1910. C’est donc « la faute à Schonberg » qui décide de créer un nouveau langage avec des nouvelles techniques qui portent les noms de dodécaphonisme, sérialisme, klangfarbenmelodie, sprechgesang! Mais étions-nous prêts ? Prenons un temps pour nous interroger sur le rôle du créateur vis-à-vis de son public. Doit-il s’adapter à lui, ou bien le devancer ?
C’est bien là que réside selon moi le 3ème paradoxe : ce n’est pas au créateur d’attendre que l’on soit prêt à recevoir son œuvre mais bien à lui de créer, de faire avancer l’art, et à nous d’être curieux. Richard Wagner et Richard Strauss ont amené le post romantisme à son apogée. Bien conscient de ce point de non-retour, Schonberg décide de réinventer le langage musical. Avec Berg et Webern, il crée l’Ecole de Vienne qui installe des nouvelles techniques d’écriture… Mais personne n’y entend rien.
Dépourvu du mode d’emploi de ce nouveau langage, les règles vont donc rester abstraites, abscondes et surtout décourageantes pour le public. A mon sens, l’Ecole de Vienne est le maillon manquant pour toutes les nouvelles tentatives de l’art. Sans l’Ecole de Vienne nous ne comprendrons pas la musique répétitive, la musique spectrale, la musique électroacoustique. L’Ecole de Vienne reste telle une lacune.
Le Groupe Orchestral « Le Paradoxe » propose cette (re) découverte des musiques du 20ème siècle pour unir la connaissance de notre passé, la compréhension de notre présent et la possibilité d’entrevoir notre avenir. Ce paradoxe d’un passé qui se serait arrêté empêchant toute ouverture vers l’avenir m’a intéressée.
Ce nom a été choisi pour faire écho aux nouvelles formes orchestrales du 20ème siècle qui mettent en exergue un paradoxe étonnant dans la relation « orchestre - chef d’orchestre » : alors que les effectifs orchestraux diminuent, les œuvres se complexifient, et rendent donc souvent la présence d’un chef indispensable. Certaines œuvres scindent l’orchestre en petits groupes séparés qui nécessitent même parfois l’intervention de deux chefs d’orchestre. A contrario, il arrive que le chef dirige une partie de l’orchestre pendant que l’autre est en autonomie.
Cette nouvelle indépendance des musiciens, la présence d’un ingénieur du son partageant la direction artistique avec le chef d’orchestre, tout ceci amène à concevoir l’orchestre non plus comme une entité homogène, indivisible et osmosée mais comme un ensemble de groupes, de musiciens, et de volontés indépendantes.
Les musiciens du Paradoxe sont de jeunes musiciens professionnels détachés de leurs structures de formation. Déjà diplômés, ils peuvent êtres issus des CNSM, de la Haute Ecole de Genève ou encore des Hochschule... Un partenariat étroit est mis en place avec Le Pôle Supérieur 93, particulièrement désireux de suivre ses diplômés au-delà de leurs études. Le Groupe Orchestral « Le Paradoxe » se veut être une passerelle, un sas d’insertion professionnelle pour entrer dans la vie active du musicien d’orchestre.
Si le Paradoxe souhaite faire se rencontrer d’anciens étudiants en devenir professionnel issus de tous horizons, c’est qu’il est important dans le métier de musicien de construire un réseau dont les ramifications ne viennent pas de la même souche. La diversité de l’enseignement, l’échange d’expérience, le partage des connaissances sont autant de possibilités de s’ouvrir au monde professionnel actuel de la musique.
Le langage propre à la musique contemporaine fait encore peur, même aux musiciens les plus chevronnés. Mais si nous nous accordons à dire que l’Ensemble Intercontemporain, spécialiste en la matière ne peut être égalé, nous ne devons pas pour autant mettre à mal notre curiosité, notre connaissance et surtout la mission qui nous incombe de divulguer et de faciliter la compréhension de la musique d’aujourd’hui. Celle de l’Ensemble Intercontemporain est avant tout la Création. Créations souvent archivées si rapidement que l’on oublie qu’entre ces deux étapes, il en est une primordiale : le Jeu. Rejouer les œuvres, les expliquer, les faire connaitre …. Le Paradoxe se donne cette mission de découverte, de re-jeu pour les jeunes musiciens et pour le public.
Le Groupe Orchestral « Le Paradoxe » propose de changer la forme du concert, afin de faciliter la rencontre entre les œuvres contemporaines et le public. Ainsi, nous ne parlerons plus de concerts mais plutôt de « Moments », mot sans doute inspiré par l’œuvre éponyme de Stockhausen. Des moments thématiques qui permettront de se pencher précisément sur une technique d’écriture, sur l’utilisation de dispositifs électroniques ou encore sur la création de nouveaux instruments … Des moments courts, autour de 60 à 70 minutes dans lesquels il n’y aura qu’environ 40 minutes de musique. Des moments d’échange enfin, durant lesquels nous prendrons le temps du partage, de l’interaction, du débat avec le public. C’est ainsi que nous proposerons des moments « pour les grands” « pour les petits », « pour les scolaires », « en famille », durant lesquels l’échange occupera une place fondamentale.
Mélanie Levy-Thiébaut, Septembre 2021